Le comité d'esclaves
Bien sûr, cette pièce faisant allusion à des situations et à des personnages réels, elle ne pouvait être comprise et appréciée que par les témoins de l'époque. Rien n'est gratuit, rien n'a été inventé (sauf bien sûr des exagérations telles que le suicide d'un des membres ou le massacre final) et chaque parole prononcée fait référence à un fait ou un problème existant.
Les noms des personnages sont inspirés de leurs véritables patronymes mais en les latinisant un peu pour mieux restituer l'atmosphère des tragédies antiques.
J'espère que ceux qui liront aujourd'hui ma petite pièce en tireront quelque plaisir malgré leur méconnaissance du contexte de l'époque.
PERSONNAGES
BOURGEOISIUS
Le Maître (en réalité, le PDG)
BOURGEOISIUS Le Maître (en réalité, le PDG)
MORVANUS Son Confident (en réalité son Directeur)
FERIUS Le chef des esclaves (en réalité le chef du personnel)
GRABIUS Son Confident (en
réalité son adjoint)
MAIROTUS Le scribe (un employé
chargé de noter les décisions)
TAFOURUS Un esclave (en
réalité un employé)
CHAPINUS Un esclave (en
réalité un employé)
HALEVIUS Un esclave (en réalité
un employé)
ZOZAYUS Une esclave (en
réalité une employée)
DIJIUS Une esclave (en
réalité une employée)
HAMANUS Une esclave (en
réalité une employée)
ROZUS Une esclave (en
réalité une employée)
LE FIGURANT Un
esclave (en réalité un employé et auteur de
cet ouvrage)
ACTE I
BOURGEOISIUS,
MORVANUS
MORVANUS
Bourgeoisius, est-ce aujourd'hui
que certains esclaves
Ont droit de réunion dans l'une de
ces caves ?
BOURGEOISIUS
Oui, c'est le C.E., ou Comité
d'Esclavage,
Un mouvement nouveau que César
encourage
MORVANUS
Ah je te l'avoue, c'est pour moi
un grand souci
De les voir chaque mois se réunir
ici.
Comment peut-on permettre à un tel
Comité
En nos murs de siéger en toute
impunité ?
Ne crains-tu pas que tant de
générosité
Favorise l'action d'un esclave
excité
Et qu'ensemble ensuite ils
complotent et s'unissent ?
A Rome déjà nous avons vu
Spartacus
Défiant les armes à la main…
BOURGEOISIUS
…Non Morvanus !
Modère tes craintes et ne
t'inquiète pas
Car de ces réunions il ne peut
rien sortir.
J'y ai des espions qui les suivent
pas à pas,
J'ai ton bon Grabius qui les
écoute glapir,
Le scribe Mairotus qui note leurs
soupirs
Et mon bon Férius qui étouffe
leurs désirs.
De toute manière ce sont des âmes
viles
Qui ne peuvent traiter que de
sujets futiles
Et pour éviter tout éclat
d'intelligence
Toutes les questions sont
préparées à l'avance.
Chacun se prend pour Démosthène
l'orateur
Mais leurs discours le plus
souvent sont sans valeur.
Ils discutaillent, ils piétinent,
ils ergotent
Et il est vraiment impossible
qu'ils complotent
Car dans ce joyeux défoulement
collectif
Ils sont très méchants mais
surtout inoffensifs.
MORVANUS
Tu me rassures un peu mais je suis
rétif
Devant
ces libertés accordées aux captifs.
BOURGEOISIUS
Hé bien puisque malgré tout tu
restes sceptique
Et qu'à mon discours tu demeures
hermétique,
De derrière ce rideau avec
discrétion
Observons tous deux la prochaine
réunion.
(ils se
dissimulent dans les rideaux des coulisses)
ACTE II
Scène 1
GRABIUS,
MAIROTUS, TAFOURUS, CHAPINUS, HALEVIUS,
ZOZAYUS,
DIJIUS, HAMANUS, ROZUS ET LE FIGURANT.
DIJIUS
Salut tous les esclaves ! Alors,
on commence ?
MAIROTUS
Non chère Dijius, car pour ouvrir
la séance
Nous attendons Ferius qui semble
être en retard.
TAFOURUS
Sans doute est-il dans cet
encombrement de chars
Qui sévit chaque jour à l'entrée
de la ville.
DIJIUS
A moins qu'il n'ait eu peur et
qu'il ne se défile.
GRABIUS
Allons, allons, Dijius, pas de
mauvais esprit.
Tu sais que par son travail Ferius
est très pris
Et que s'il lui échoit de ne pas
être à l'heure
C'est uniquement en raison de son
labeur.
DIJIUS
Ah Grabius, c'est vrai que tu es
son confident,
Ca se voit à la façon dont tu le
défends.
Nous ne sommes pas dupes : tu
défends Ferius
Qui défend Morvanus qui défend
Bourgeoisius…
MAIROTUS
Arrête, ô femme ! Modère ta fureur
!
Ce Grabius est tout seul et nous
sommes plusieurs.
Le jeu est inégal et tu devrais
savoir
Qu'à vaincre sans péril on
triomphe sans gloire.
Puisque tu veux te livrer à un
combat sans merci
Attends au moins Ferius son allié…
ZOZAYUS
…Le voici
!
Scène 2
LES MEMES
PERSONNAGES PLUS FERIUS
FERIUS
J'ai eu un contre-temps, une
affaire imprévue
Qui m'a pris plus de temps que je
n'aurais voulu.
On m'attend ici et on me retient
là-bas…
Bref, scribe Mairotus, entamons le
débat.
MAIROTUS
La première question selon
certains souhaits
Serait d'aborder le problème du
fouet.
CHAPINUS
En effet lors de la dernière
réunion
Tu avais promis devant tous ces
témoins
Un certain nombre de coups de
fouet en moins
Pour tous les esclaves donnant
satisfaction.
Tu avais même dit, si ma mémoire
est saine,
"Réduction du fouet,
allègement des chaînes,
Sont les deux mamelles de
l'esclave en progrès"
Or je dois avouer à mon plus grand
regret,
Que tes engagements n'ont pas été
tenus
Et qu'à nouveau le cuir a zébré
nos dos nus.
DIJIUS
Réflexion exacte, je puis en
témoigner.
Les gardes ce mois-ci nous ont
assez soignés.
Le nombre des coups a même été
augmenté.
Regarde, j'en ai le dos tout
ensanglanté !
MAIROTUS
Epargne-nous la vision de tes
chairs d'athlète !
Pour être esclave, on n'en est pas
moins esthète.
DIJIUS
Quoi ? Répète un peu !
MAIROTUS
Je dis que les mots suffisent
Et qu'il n'est nul besoin
d'enlever ta chemise.
TAFOURUS
Nous sommes déjà suffisamment
suppliciés.
CHAPINUS
Oui et l'oxygène en est déjà tout
vicié.
FERIUS (à
part)
Tandis qu'en leur stupide querelle
ils s'enfoncent,
Discret, je mets à profit leur
inattention
Pour leur confectionner une habile
réponse
Qui décapitera leur sotte
prétention.
ZOZAYUS
Il serait temps de revenir à nos
moutons
Car de l'objet du débat nous nous
écartons.
Ferius il te faut répondre sans
faiblesse :
Pourquoi donc n'as-tu point
respecté ta promesse ?
FERIUS
Mes amis, je crois que vous m'avez
mal compris
Car le sens des mots parfois
échappe à l'esprit.
Lorsque j'ai parlé de réduction du
fouet
De votre inattention vous fûtes le
jouet.
Car le mot "réduction"
tel que je l'ai cité,
Ne s'appliquait pas du tout à la
quantité
Des corrections journellement
distribuées.
Non ! C'est au manche qu'il était
attribué.
DIJIUS
Au manche ?
TAFOURUS
Au manche ?
FERIUS
Oui, au manche
!
Car les centurions qui le portent
à la hanche
Sont quelquefois gênés dans
certains mouvements
Et c'est pourquoi en haut lieu il
fut décidé
De la réduction du manche de
l'instrument.
GRABIUS
Moi j'avais parfaitement compris
cette idée.
FERIUS
Scribe, surtout grave bien ces
quelques répliques
Car elles font ressortir toute ma
technique…
TOUS LES
ESCLAVES
Hou ! Hou ! Ferius, tyran, tu t'es
moqué de nous !
FERIUS
Criez autant que vous le voulez,
on s'en fout !
Ce qui est dit est dit et n'y
revenons plus.
Si vous insistez, c'est le
martinet en plus.
Et toi, scribe, ne note pas cet
incident
Car il pourrait détruire l'effet
précédent.
GRABIUS
Oui il n'y a pas de quoi fouetter
les bœufs
Et il ne faut pas chercher du poil
sur les œufs.
Arrêtez donc de secouer ainsi vos
chaînes
Que nous puissions passer à la
question prochaine.
DIJIUS
Grrr…
MAIROTUS
Chut ! Mes chers amis, voici la
question suivante
Qui sera je l'espère bien plus
réjouissante,
Car elle répond à cette soif
d'évasion
Qui nourrit en nous les plus
folles illusions.
Et c'est Tafourus l'esclave qui
vient de loin
Qui va maintenant, ô joie, vous
faire le point.
TAFOURUS
A l'occasion de la fête de
l'esclavage
Nous voulons organiser un très
beau voyage.
Comme vous le savez, toutes les
deux années,
Nous avons coutume d'aller nous
promener
Dans de lointains pays, sur
d'étranges rivages,
Où vivent encore barbares et
sauvages.
Chacun se souvient de cette
aimable croisière
Que nous fîmes sur une superbe
galère
Et qui nous conduisit en un joyeux
détour
Visiter la Turquie et tous ses
alentours.
Bien sûr il fallut ramer et
certains périrent
Mais il y eut aussi tous ces bons
souvenirs :
Dois-je vous rappeler ces combats
furieux
Qui nous opposèrent à ces Turcs
valeureux,
Et le spectacle des supplices
hilarants
Que nous infligeâmes aux
malheureux perdants ?
ROZUS
Ha Ha Ha !
ZOZAYUS
Ce fut un voyage réussi
Et il faut absolument cette fois
aussi
Qu'on organise quelque chose de
dément
Avec guerres et tortures en
suppléments.
TAFOURUS
J'ai consulté quelques agences
d'invasion
Et grosso-merdo j'ai tiré la
conclusion
Qu'il pouvait être intéressant
d'aller en Grèce
Ou bien d'y préférer un séjour à
Lutèce.
Ces deux voyages, s'ils sont de
prix identiques,
N'ont pas du tout les mêmes
attraits touristiques :
La Grèce en effet n'est vraiment
intéressante
Que par Lesbos et ses célèbres
habitantes.
Lutèce en revanche nous offre la
Cervoise
Et le spectacle exquis de femmes
brûlées vives
(D'où l'expression connue :
griller une Gauloise…)
FERIUS
Tes deux propositions sont aussi
attractives
Et sur un choix nous ne pourrons
faire chorus
Tant tes programmes sont bons mon
cher Tafourus.
TAFOURUS
Ha, mon pauvre Férius, garde ton
compliment
Car je dois avouer que
lamentablement
Cette fois encore on a loupé la marche
Pour avoir bien trop tard entamé
nos démarches.
ROZUS
Ha Ha Ha !
TAFOURUS
Vraiment il n'y a pas de quoi rire !
C'était partout complet et au lieu
de partir
Vers les sites charmeurs de la
Grèce ou de la Gaule
Nous allons rester face aux oies
du Capitole.
ZOZAYUS
La situation n'est pas tout à fait
critique
Et il reste encore maints circuits
touristiques.
Nous avons le temps d'étudier
d'autres voyages
Car c'est dans six mois, la fête
de l'esclavage.
TAFOURUS
Non, mes amis, non ! J'ai trahi
votre confiance
Et ne mérite aucunement votre
indulgence.
J'ai mal fait mon devoir, j'ai
failli à ma tâche,
Mais l'esclave Tafourus est loin
d'être un lâche
Et pour effacer de vos esprits mon
erreur
C'est dans mon sang que je laverai
mon honneur !
DIJIUS
Ah ! Il sort une dague de sous sa
tunique
Et sur son ventre appuie
l'extrémité qui pique.
TAFOURUS
Je n'ai pas su organiser votre
voyage
Et ne survivrai point à ce méchant
ratage
Et ainsi que le fera un peintre
plus tard
Je me perce le ventre sept fois de
ce dard.
DIJIUS
Tu pourrais quand même choisir
pour ton suicide
Autre chose que devant nous
t'ouvrir le bide !
TAFOURUS
(se
transperçant)
Aïe !.. Voilà qui est fait !Adieu
donc mes amis.
Sans moi désormais trouvez un
autre voyage
Le mien est tout tracé car c'est
au Paradis
Que Jupiter m'attend, debout sur
le rivage.
MAIROTUS
Si tu crois que les dieux n'ont
rien de mieux à faire
Que te t'attendre, seul, sur leur
débarcadère
Tu te fais des illusions et meurs
en rêvant…
Bref ! Assez plaisanté ! Voyons le
point suivant.
HALEVIUS
J'aimerais qu'on parle de
l'esclave pointeur
C'est à dire de ce scribe dont le
labeur
Consiste à graver sur des
tablettes d'argile
Les heures d'entrée et de sortie
des serviles.
Car cet esclave me paraît bien
capricieux
Puisque devant certains il se
ferme les yeux
Alors que pour d'autres il les
tient grand ouverts.
D'où vient ce procédé très
inégalitaire ?
Pensez-vous donc vraiment qu'il
soit de très bon ton
Que les uns soient enregistrés et
d'autres non ?
Je ne parle pas bien sûr des
itinérants
Qui vont flâner sur les chemins
avoisinants
Et dont la durée de travail à
l'extérieur
Ne peut être l'objet de l'esclave
pointeur.
Je parle uniquement des esclaves
statiques
Qui à plein temps ici exercent
leur pratique
Et qui peinant en ces murs des
journées entières
Ont pu voir leur temps de
souffrances journalières
Augmenté ou diminué suivant
l'humeur
Et la fantaisie de notre scribe
pointeur.
Trouvez-vous normal enfin que
certains malins
Au lieu de s'adresser à lui en bon
latin
Préfèrent passer à côté en
l'ignorant
Et que lui de son côté reste
indifférent ?
A sa tâche ce scribe ne s'applique
guère
Et sur ses fonctions j'aimerais
qu'on m'éclaire.
FERIUS
Ta tirade fut vraiment très
intéressante
Et maintenant passons à la
question suivante.
HALEVIUS
Mais…
MAIROTUS
…Quelqu'un voudrait parler de la fosse aux lions
Qui s'emplit trop vite selon son
opinion.
DIJIUS
En effet de nombreux esclaves
disparaissent
Et leurs chaînes vides en cadeau
ils nous laissent.
Ils furent jetés à la fosse aux
lions c'est sûr,
Et au tigre Assedic donnés en
pâture.
FERIUS
Ah non ? Je n'ai jamais rien
remarqué de tel
Mais s'il en fut, il faut me
préciser lesquels.
CHAPINUS
Nous avons l'exemple de l'esclave
Paquus
Dont il ne reste plus que les os
et les puces.
Puis chacun fut témoin du geste
suicidaire
D'Anselmus qui sauta, la tête la
première…
FERIUS
Le cas d'Anselmus est tout à fait
différent
Puisqu'il s'agit d'une œuvre
d'assainissement
Et que le seul vrai motif de son
triste sort
C'est la lutte contre la pollution
sonore.
MAIROTUS
Evidemment vu sous cet angle
salutaire
On ne peut qu'apprécier ce drame
nécessaire
Et son suicide la réduisant au
silence
Fut pour tout le monde source de
bienfaisance.
DIJIUS
D'accord pour Anselmus. Mais il y
en eut d'autres
Qui sans doute aujourd'hui ne
seraient plus des nôtres
S'ils vous avaient cédé quand vous
les invitiez
A se jeter dans la fosse aux lions
tout entiers.
CHAPINUS
D'ailleurs Hamanus peut donner son
témoignage.
HAMANUS
Oui c'est vrai qu'on m'avait préparé
mes bagages
Qu'on m'avait ôté mes chaînes et
m'avait dit :
Ne reste point parmi ces esclaves
maudits
Libère-toi de ta servile condition
Et toute seule descend dans la
fosse aux lions.
GRABIUS
Oh, tu sais bien que l'on avait
dit ça pour rire
Et qu'il ne faut pas tout le temps
penser au pire.
ROZUS
Ha Ha Ha !
HAMANUS
…Non j'affirme que c'était sérieux
Puisque vous m'aviez même en guise
d'adieux
Préparé l'échelle qui descend dans
l'arène.
DIJIUS
Heureusement que tu te trouvas d'autres
chaînes.
CHAPINUS
Et l'on peut aussi évoquer
Jacquelinus
Abandonnée dans le désert par
Catoirus
Puis sauvée des vautours et des
rats sans merci
Par le galant Delayus du camp de
Torcy
DIJIUS
Oui et…
FERIUS
…Mairotus, inutile que tu notes
Ces élucubrations complètement
idiotes
Car, esclaves, en vérité je vous
le dis,
Vous outrepassez les limites du
permis !
Vous n'êtes pas ici pour donner
votre avis
Sur les décisions qui régissent
votre vie.
Vous n'êtes pas ici pour changer
quelque chose
Aux ordres et aux caprices qu'on
vous impose.
Parlez de vos chaînes, discutez du
voyage,
Critiquez le fouet, le pain ou le
fromage,
Mais ne sortez pas de ce cadre
réservé
Ou je sens que vais encore
m'énerver.
ZOZAYUS
Et en quoi cela peut-il te déranger
Qu'on discute ici de ce qu'on…
voudrait changer ?
FERIUS
Cela me dérange en ce sens que
j'ai des ordres
Et que Bourgeoisius va me taper et
me mordre
Si jamais il apprend que par trop
d'indulgence
Je n'endigue point le flot de vos
doléances.
DIJIUS
Quoi ? Mais il faudrait savoir
dans quel camp tu es,
Et du maître ou de nous, de qui
es-tu le plus près ?
FERIUS
Vous devriez savoir qu'être Chef
des Esclaves
Est un métier à décourager les
plus braves
Puisqu'il faut du maître défendre
l'intérêt
Tout en faisant semblant d'écouter
ses sujets.
DIJIUS
Ainsi, infâme, tu avoues ton
double jeu
Et reconnais nous jeter de la
poudre aux yeux ?
GRABIUS
Allons, allons, ilne faut pas
exagérer…
DIJIUS
Non ! Un coup pareil je ne peux le
digérer
Et sans perdre un seul instant je
m'en vais châtier
Les deux représentants d'un si
vilain métier !
MAIROTUS
Oh ! Du ventre de Tafourus déjà
tout sec
Elle arrache le glaive et les
boyaux avec
Et levant rageusement l'arme
fatidique
Elle se précipite sur nos deux
hérétiques.
DIJIUS
Tiens, attrape ce coup en plein
dans les gencives !
FERIUS
Loupé ! Comme tu vois j'ai le sens
de l'esquive
Et pour éviter ton coup je me suis
baissé.
GRABIUS
Assez Dijius, tu vas finir par
nous blesser.
DIJIUS
Vous blesser, oui, et même vous
faire périr
Car mon flot de rage ne se pourra
tarir
Qu'à la vue de vos cadavres
ensanglantés
Dont nous aurons coupé les têtes
édentées.
FERIUS
Tu parles bien Dijius mais n'es
guère efficace
Car tes coups pour l'instant ne
fendent que l'espace.
Mais moi je vais te montrer ce que
je sais faire
Avec ma belle épée et mon trident
de fer.
DIJIUS
A moi les
esclaves ! Bougez-vous la carcasse
Au lieu de
rester accroupis sur vos paillasses.
ZOZAYUS
En guise de lassos utilisons nos
chaînes
Et à coups de marteau crevons-leur
la bedaine.
MAIROTUS
Pendons-les haut et court !
ROZUS
…Marquons-les au fer rouge !
HALEVIUS
Mangeons-leur le foie !
ZOZAYUS
…Attention ! le rideau bouge…
ACTE III
Tous les
personnages
BOURGEOISIUS
(bondissant
depuis les coulisses côté cour)
Ah Ah ! Heureusement que nous
étions présents
Pour espionner ce comité de
malfaisants.
MORVANUS
(bondissant
depuis les coulisses côté jardin)
Ferius, Grabius, on est avec vous
de tout cœur
Pour repousser l'attaque de vos
agresseurs.
GRABIUS
(se
prosternant à leurs pieds)
Bourgeoisius, Morvanus ! Vous êtes
merveilleux
D'apparaître au bon moment ainsi
que des dieux.
FERIUS
En effet, nous aurions succombé
sous le nombre
Si vous n'aviez pas jailli tout
armés de l'ombre.
CHAPINUS
Lorsque vous aurez terminé vos
embrassades
Vos assauts de politesse et autres
pommades
Nous vous prierons de bien vouloir
prendre conscience
De la fragilité de vos quatre
existences.
BOURGEOISIUS
Ah Ah Ah ! Vous semblez bien sûrs de vous, esclaves,
Et vous confondez être fou et être
brave
Car il faut d'esprit n'être pas
tout à fait sain
Pour oser nous défier les armes à
la main.
CHAPINUS
Allons ! Préparez-vous, imprudents
téméraires,
A comparaître bientôt devant
Jupiter.
DIJIUS
Esclaves, à l'attaque !…
LE
FIGURANT
…A ce cri inhumain,
Je m'éveille tout à coup pour être
témoin
D'une sauvagerie à nulle autre
pareille
Dont la beauté sanglante un
instant m'émerveille.
Les combattants s'affrontent avec
tant de haine
Que les chocs prodigieux des épées
et des chaînes
Créent des explosions en
comparaison desquelles
Le Vésuve et l'Etna ne sont que
crécelles.
Les chaînes férocement rugissent
dans l'air
Les épées joyeusement entaillent
les chairs
Et à l'issue de cette première
mêlée
On peut voir Grabius qui gît, le
crâne fêlé.
Nul ne peut un instant s'attendrir
sur son sort
Car aussitôt, et mûs comme par un
ressort,
Les deux groupes l'un vers
l'autres se précipitent
Et avec art s'égorgent et se
décapitent.
D'Halevius la tête est violemment
décollée
Et celle d'Hamanus la suit dans la
foulée,
Telles deux caillasses lancées par
catapulte.
Puis d'un très élégant coup de
chaîne il résulte
La strangulation instantanée de
Ferius
Qui en mourant a le temps
d'attraper Rozius
Et de lui faire avaler son glaive
en entier.
Les combattants sont féroces et
sans pitié.
Le sang gicle de partout,
aspergeant les murs
Et le sol est jonché de dents et
de fémurs.
Chapinus lance alors une attaque
démente
Mais son pied dérape dans la
bouillie sanglante.
Bourgeoisius alors se baisse et
l'index tendu
Il crève les yeux du Chapinus
étendu.
La lutte est devenue confuse et
incertaine
Et Zozayus emmêlée dans ses
propres chaînes
Ne peut parer de Morvanus le coup
de masse
Qui lui défonce gaiement sa frêle
carcasse.
Du plafond pendent des guirlandes
de viscères
Agrémentés de cœurs enrubannés
d'artères
Et c'est dans ce décor joyeux et
émouvant
Que vont se mesurer les quatre
survivants.
Un instant figés ils s'observent
en silence,
Statues immobiles et guerriers de
faïence,
Leurs yeux par moments semblent
jeter des éclairs
Et leurs traits se tordre de haine
et de colère.
Ils sont là, le souffle court,
s'épiant du regard,
Nul n'osant bouger ni faire le
moindre écart...
Soudain Mairotus poussant un cri
inhumain
Bondit comme un diable, le stylet
à la main,
Et fondant sur Morvanus d'un geste
gracieux
Il lui plante l'instrument entre
les deux yeux.
Contemplant sa victime il se
demande alors
Comment il décrira ce coup dans
son rapport.
Mais il ne peut longtemps savourer
sa victoire
Car Bourgeoisius lui démantèle la
mâchoire
Et l'esclave désormais privé de sa
face
S'écroule parmi les boyaux et les
carcasses.
BOURGEOISIUS
Dijius, tu es seule et ce serait
un suicide
Pour toi de vouloir prolonger ce
génocide.
DIJIUS
Moi je pensais que c'était pour
toi au contraire
Que les prolongations devenaient
suicidaires.
BOURGEOISIUS
Allons allons ! Essaie d'être un
peu raisonnable
Tu sais que ma botte secrète est
imparable.
DIJIUS
Hé bien puisque tu sais combattre
avec éclat
Montre-moi donc comment tu pares
ce coup-là.
LE
FIGURANT
C'est alors que joignant le geste
à la parole
L'esclave s'élance en hurlant
comme une folle
Et surprenant l'adversaire
désemparé
Elle lui assène un coup qu'il ne
peut parer.
Bourgeoisius choit mais avant
qu'il ne se relève
Sa tête est déjà tranchée d'un
seul coup de glaive.
L'attaque fut précise, rapide
efficace
Et ne nécessita pas même le coup
de grâce
Alors le maître enfin étendu à ses
pieds
Dijius épuisée s'adosse au mur et
s'assied…
Tout est calme à présent dans
cette étrange cave,
Décor de ce tragique Comité
d'Esclave
Et la survivante regardant autour
d'elle
Ne voit plus qu'entrailles,
ossements et cervelles.
Mais soudain, dans toute l'horreur
d'un mauvais rêve,
Le maître décapité doucement se
lève
Et balançant son cou, moignon
ensanglanté,
Il se dirige sur l'esclave
épouvanté.
Son corps seul peut marcher, ô
surprise grandiose,
Car sa tête ne lui servait pas à
grand-chose
Et sa cervelle ayant rarement
fonctionné,
Bourgeoisius sans elle peut fort
bien s'actionner.
Après sa mort comme de son vivant,
il erre
Entièrement régi par sa moelle
épinière.
Dijius paralysée voit le mort
s'approcher
Et ses mains osseuses à son cou
s'accrocher.
Un instant ils luttent avec
férocité
Puis s'écroulent, enlacés pour
l'éternité…